Blog prof. René Prêtre

Déc 15 2023

Mission Cambodge 2023

Post by René Prêtre

Déc 15 2023

Lundi 4 décembre 2023

8h30
Arrivé hier en fin d’après-midi à Siem Réap. Je rencontre Oliver (Kretschmar) et Dominik (Stambach) dans le lobby de l’hôtel Sofitel et nous allons souper ensemble dans un restaurant local. J’ai fait coïncider la mission de cette année avec la leur, car ils aiment bien avoir des chirurgiens en arrière-fond de leurs interventions percutanées. Oliver est un spécialiste de ces interventions où des artères trop étroites sont dilatées avec un ballon et stentées pour maintenir une ouverture large, où des vaisseaux anormaux sont fermés par ces coils et où des communications intracardiaques sont fermées par une ombrelle (lorsque l’anatomie s’y prête bien sûr) et Dominik assume surtout un rôle de formateur, tant en cardiologie qu’aux soins intensifs.
Ce sont en plus de très bons amis, de longue date, du temps où je sévissais à Zurich (Oliver est le chef de la cardiologie interventionnelle du Kinderspital de Zh et Dominik, qui a longtemps oeuvré au Kinderspital de Zh, travaille maintenant à Saint-Gall). Cela fait plaisir de les retrouver et de passer en revue les potins zurichois.

Un arrêt au mémorial de Beat Richner, juste devant l’hôpital.

Ce matin, nous nous sommes rendus à l’hôpital Khanta Bopha. Les dirigeants et nos collègues directs nous attendaient devant le monument qui a été érigé à la mémoire de Beat Richner, à l’entrée de l’hôpital. Un autre monument, à la mémoire de Peter Studer, se trouve devant la bibliothèque de l’hôpital, bibliothèque qui porte son nom. Nous avons tous rendu hommage à ces deux géants, avant de nous rendre dans l’amphithéâtre pour le rapport du week-end. Ladin, qui bien sûr était présent pour nous accueillir, nous relate, fier, l’histoire d’un enfant de 6 mois avec une transposition de gros vaisseaux chez qui il a procédé à un retraining du ventricule gauche. Je l’écoute un peu dubitatif, car ces corrections-là, après cerclage de l’artère pulmonaire, sont particulièrement difficiles à réaliser. Je pressens déjà une journée complète à nous battre pour récupérer une force suffisante de ce ventricule et une lutte de tous les instants pour contrôler les saignements, toujours problématiques dans ces opérations. Mais bon, nous ne sommes pas ici pour ne réaliser ou n’assister que des opérations bien codifiées, nous devons aussi apporter cette plus-value que nous possédons par notre expérience sur des cas rares et complexes. Ce sont surtout ces cas-là qui font encore progresser l’équipe locale.

Le rapport du matin. Comme toujours, beaucoup de monde.

Au rapport, toujours les mêmes chiffres impressionnants d’admissions et d’urgences, ainsi que de naissances au cours du week-end. Oliver, Dominik et moi-même prenons tour à tour la parole pour les remercier de leur accueil et les assurer de notre joie d’être à nouveau parmi eux. Je retourne ensuite vite à l’hôtel pour prendre un café et un croissant ainsi que mes lunettes chirurgicales avant de me rendre au bloc opératoire. Je suis seul sur le chemin et cela me fait sourire de voir les deux préposés à la circulation routière arrêter immédiatement tout le trafic lorsqu’ils me voient pointer à l’horizon et me saluer respectueusement les mains jointes lorsque je traverse la route. Je leur renvoie leur salut avec un clin d’œil – qui les fait aussi sourire. Cela faisait quatre ans que je n’étais plus venu à Siem Réap : deux ans furent perdus par la pandémie covid et l’année passée, je me suis rendu à Phnom Penh, sur l’autre site opératoire. Le fait qu’ils m’ont reconnu après si longtemps me touche quand même.

En salle d’opération, notre premier enfant dort déjà. Il s’agit d’une tétralogie de Fallot – la fameuse maladie bleue – que Ladin va opérer. Je retrouve toute l’équipe du bloc opératoire que je connais bien. Je me rends encore vite aux soins intensifs et en salle de cathétérisme pour saluer chacun, avant d’aller me laver les mains et avant-bras pour rejoindre Ladin.

13h00
Le premier cas s’est déroulé sans problème. Le cœur est bien et vite reparti, avec une bonne force. Les deux ventricules sont maintenant bien séparés (grâce à la fermeture de la communication entre eux par un patch) et le passage sanguin entre le cœur droit et les poumons est largement ouvert (ici aussi grâce à l’insertion d’un patch d’élargissement de cd que l’on appelle « la voie droite »).

Pendant notre opération, Oliver a fermé, par cathéter, le canal artériel toujours ouvert (il doit se fermer quelques jours après la naissance) chez deux enfants. Nos trois opérés sont maintenant aux soins intensifs, avec quelques autres enfants, dont le fameux avec ce cerclage de l’artère pulmonaire pour un « retraining » du ventricule gauche. Cet enfant, comme souvent lorsque vu sans lunettes, me semble bien frêle et bien petit. J’ai organisé une échocardiographie pour ce soir, de manière à évaluer la force du ventricule gauche, voir si une correction type switch artériel est maintenant possible.

Le deuxième enfant prévu pour cette première journée souffre d’une communication entre les deux ventricules. Cette correction devrait se passer sans problème. À l’heure où j’écris, je le vois passer sur son brancard au bloc opératoire. Il est âgé de 3 mois et regarde un peu surpris ce nouvel univers qui défile à ses yeux.

19h30
Nous finissons la journée. Assez harassante. La CIV sitôt fermée, je suis sorti du bloc opératoire, les laissant faire repartir le cœur et terminer l’opération et me suis rendu vers Dominik dans sa salle d’échocardiographie. Là ont défilé une bonne quinzaine d’enfants chez lesquels cette échocardiographie mettait ne évidence leur problème cardiaque. Cinq présentent une pathologie complexe, parmi eux un enfant de deux mois à la pathologie extrême. Après discussion avec les médecins locaux,

Un enfant de notre première journée.

nous décidons de ne pas intervenir, sachant que sa vie est en grand danger. La correction nécessiterait plusieurs opérations risquées et les suites aux soins intensifs seraient aussi très difficiles. Nous avons trop d’enfants en attente de leur chirurgie pour déployer toutes nos forces sur un seul cas dont le pronostic à moyen terme resterait hypothéqué (par le fait qu’un seul de ses ventricules s’est développé). Les autres cas sont programmés pour chaque matinée de la semaine. Nous sommes encore passés aux soins intensifs pour évaluer la corrigibilité du cœur de l’enfant avec son cerclage. Les pressions générées par le ventricule gauche 8qui devra soutenir la grande circulation) ne montent qu’à 45 mmHg. Ceci est encore insuffisant pour envisager une correction. Nous décidons de poursuivre l’attente en espérant qu’avec la croissance de l’enfant, le cerclage (lui fixe) se resserrera et continuera de « muscler » le ventricule gauche. Cela peut prendre quelques mois, mais aujourd’hui une correction aboutirait à un échec assuré. Pendant que nous réalisons l’examen, un adolescent est admis aux soins intensifs en état comateux. Il avait été opéré d’une valve quelques mois auparavant et semble souffrir d’une hémorragie cérébrale, peut-être associée à une anticoagulation trop prononcée. Nous contactons les neurochirurgiens pour qu’ils viennent rapidement évaluer cette situation.

Au moment où nous quittons l’hôpital, nous apprenons qu’ils vont procéder à un drainage en urgence de l’hématome (qui a été confirmé par un CT scan). Nous irons manger dans un restaurant proche de l’hôtel pour pouvoir nous « remiser » tôt – la fatigue se fait sentir.