Blog prof. René Prêtre

Déc 15 2023

Mardi 5 décembre 2023

Post by René Prêtre

Déc 15 2023

Mardi 5 décembre 2023

8h30
Nuit un peu difficile. Réveil à 3 heures du matin, insomnie de 1 à 2 heures puis réendormissement jusqu’à l’alarme du téléphone.
Un café, un croissant puis une visite rapide des soins intensifs. Nos opérés vont bien. L’hématome de l’enfant avec l’hémorragie cérébrale a été drainé. Il est bien sûr encore dans le coma. Nous verrons ce que prédisent nos collègues neurochirurgiens, mais j’ai toujours eu beaucoup d’appréhension face aux problèmes neurologiques.

L’opération de ce matin est prévue sur un enfant de 12 mois avec une forme extrême de tétralogie de Fallot (en fait ce que l’on appelle une atrésie pulmonaire). De son côté, Oliver et son équipe vont tenter de dilater une coarctation résiduelle chez une petite fille, opérée il y a quelques semaines en Thaïlande. Là-bas, ils ont ouvert largement (beaucoup trop largement) la cloison entre les deux oreillettes et tenté de corriger une coarctation native de l’aorte. Bref, cette enfant va mal et dépérit, car, en plus de cette trop large communication, la coarctation est toujours présente. Une reprise de cette coarctation serait extrêmement dangereuse et nous avons opté pour une dilatation de la zone rétrécie avec un ballon (en espérant que cela réouvre suffisamment l’aorte). Dans un deuxième temps, nous réopérerons le cœur avec un meilleur calibrage de la communication entre les oreillettes (qui ne peut pas être complètement fermée, car la valve mitrale est actuellement trop petite).

Son aorte, qui montre un rétrécissement significatif.

La maman de la petite, hier, lors de l’examen chez Dominik, était très inquiète (à juste titre) et il fallut une longue discussion de mes collègues pour tenter de la rassurer. Tous mes collègues insistaient pour que nous fassions cette correction cette semaine encore – le fait que des spécialistes suisses soient là pour aider son enfant semblait important et semblait la soulager.

12h30
La correction est terminée et bonne. Nous avons dû faire ce que l’on appelle « un second run » avec la machine cœur-poumon et arrêter le cœur une deuxième fois, car une communication entre les oreillettes n’avait pas été vue auparavant. Celle-ci est apparue au contrôle d’échocardiographie fait lors de la reprise de l’activité cardiaque. Un contretemps sans conséquence qui nous aura juste fait perdre un peu de temps justement.

En me rendant aux soins intensifs, je croise deux personnes tirant un brancard, sur lequel un drap a été tiré, drap qui présente un certain relief. Je frémis, car ce relief ne me paraît pas « innocent » et je regarde immédiatement l’endroit où était alité l’enfant avec l’hémorragie cérébrale. Cet espace est vide et je comprends immédiatement sa raison. Les parents ne sont pas là (ils étaient présents ce matin). Je regarde une dernière fois le brancard disparaître derrière un bâtiment. Je ne connais pas l’histoire de ce pauvre garçon, ne sais pas vraiment ce

Maman avec son enfant, en attente de son opération.

qui lui est arrivé, pourquoi aurait-il saigné dans sa tête. Il avait subi une opération cardiaque il y a environ six mois (pour une maladie d’Ebstein), il était toujours sous anticoagulants. Hier matin encore, il était normal, des nausées, céphalées ne sont apparues qu’en fin de matinée. Tout semble être allé ensuite si vite : perte de connaissance, signes de compression cérébrale. Aux soins intensifs, on parle aussi d’une tumeur cérébrale, vue au scanner, qui pourrait être à l’origine de cette hémorragie.
Je reste un instant pensif sur la fragilité de la vie avant d’être repris par notre travail. Denis, CEO de Khanta Bopha me demande de le rejoindre (il vient d’arriver de Phnom Penh) avec Oliver et Dominik. Pendant une heure nous discutons de stratégie et de développement de notre spécialité dans le centre. La discussion est amicale et constructive, il se montre ouvert à chacune de nos remarques ou propositions. Quand je reviens, j’ai juste le temps de reprendre cette chronique avant d’aller assister le deuxième cas du jour qui est une communication interventriculaire.

19h00
La deuxième opération s’est déroulée sans problème. J’ai expliqué à Ladin comment fermer de manière plus élégante ce type de communication. Il était content de cette nouveauté et de sa réalisation (par lui). Je me suis rendu à l’hôtel sitôt le clamp ré-ouvert car je dois participer à une téléconférence avec Paris. Celle-ci vient de se terminer. A cette heure-ci, et vu la qualité de nos réparations, je ne me rendrai pas aux soins intensifs ; je suis persuadé que tous vont bien et qu’ils peuvent attendre ma venue demain matin.