Blog prof. René Prêtre
Maputo, 27 mai 2024
Post by René Prêtre
Lundi 27 mai 2024
12h00
Première opération terminée : tout s’est très bien passé. L’enfant avait été opéré il y a quelques années (fermeture d’une communication interventriculaire) et a développé une obstruction à la sortie du coeur. C’est une évolution connue lorsque des turbulences existent à l’intérieur du coeur, ici crées par le patch utilisé pour cette fermeture. Le resserrement, l’obstruction évoluent à bas bruit et peuvent fini par être mortels. La perte de pression (que l’on appelle « gradient ») était de 100 mm de mercure (une colonne de 130 cm d’eau). Cela veut dire qui pour donner dans l’organisme une pression normale de 100-110/60 mmHG (la pression à cet âge), le ventricule doit générer une pression de 200-210 mmHg (une colonne d’eau de 2m50). Ces pressions extrêmes peuvent engendrer une fibrillation ventriculaire et le décès du patient, classiquement au cours d’un effort (durant lequel le débit cardiaque doit encore augmenter). Ce gradient, avec notre opération est tombé de à 10 mm de mercure et devrait encore s’améliorer au cours des semaines à venir. Cette opération pourrait presque être considérée comme curative. Néanmoins, un petit pourcentage de ces patients peut développer une récidive. Ici, l’échocardiographie montre une voie de chasse gauche bien ouverte ; le risque de récidive me semble minime et en tous les cas pas d’actualité avant de nombreuses années.
Comme à notre habitude, le cas programmé cet après-midi n’est pas d’un abord très compliqué. Cependant, nous ne sommes jamais à l’abris quelques surprises… Il s’agit, au cours de cette deuxième intervention, de réparer la valve mitrale et de fermer une communication entre les deux oreillettes. C’est une opération que je pratique habituellement par une incision latérale, sous le bras, à droite (même si je sais que le cœur est à gauche). En effet, on aborde cette malformation par l’oreillette droite, qui se situe au centre du thorax, légèrement sur la droite.
18h00
La deuxième intervention s’est bien déroulée, tout comme la première.
Nous avons utilisé cet abord « cosmétique » qui aura son importance pour cette petite fille. Je pense parfois à ces enfants dans 20, 30 ou 40 ans. Devenus adultes, que penseront-ils, ressentiront-ils, sachant qu’un chirurgien qu’ils ne connaîtront jamais était venu de Suisse pour les opérer quand ils étaient tout petits ? Cette réflexion m’a traversé l’esprit pendant la fermeture de l’incision. Relativement petite, la cicatrice sera presque invisible, parce que cachée par le bras. Cette enfant ne portera donc pas ces « stigmates cardiaques » qui peuvent être durs à supporter psychologiquement, particulièrement à l’adolescence.
A peine sorti du bloc, Beatriz, la responsable de l’ICOR, nous invite à nous rendre dans une salle à l’arrière de l’hôpital. Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Sozinho. Une surprise est organisée. Nous nous rendons tous les trois à l’endroit prévu. Une cinquantaine de personnes attendent Sozinho devant des tables chargées de gâteaux, boissons, sucreries. Il y a là beaucoup de mamans avec leurs enfants qui portent tous un chapeau pointu en carton aux couleurs de la Pat Patrouille (eh oui, ce dessin animé sévit jusqu’ici). Il s’agit des enfants qui ont été opérés récemment et sont encore hospitalisés, ainsi que de ceux qui attendent leur opération. Ces gamins sentent qu’ils vivent un moment important. On les voit concentrés, impressionnés, les yeux grands ouverts sur ce qu’il va se passer. Sozinho reçoit les félicitations de tout le monde, un énorme bouquet de fleurs remis par son épouse (là je remarque son émotion : il s’essuie les joues). Quelques collègues, moi compris, prennent la parole. Ça rigole beaucoup. Les bougies du gâteau sont allumées, les enfants se précipitent sur les friandises. Quelqu’un attrape un micro et entonne une chanson locale que tout le monde reprend en cœur. La fête est très réussie.
Puis Beatriz nous informe qu’elle a réservé un hôtel en bord de mer (Maputo est une ville littorale sur la moitié de sa circonférence). La journée n’a pas été trop difficile, nos petits patients se portent tous bien. C’est donc le cœur léger et l’esprit libre que nous nous embarquons pour une soirée de détente qui me réjouit.