Blog prof. René Prêtre
Maputo, 31 mai 2024
Post by René Prêtre
8h00
Nous attaquons notre dernière journée et tenterons d’insérer un cas supplémentaire dans le programme, afin de récupérer la plage perdue par la prise en charge urgente de l’endocardite extrême.
Pas de problème particulier à signaler aux soins intensifs au cours de la nuit. Justement, le jeune homme que je viens d’évoquer commence à ouvrir les yeux et à bouger les extrémités. Il est encore trop tôt pour évaluer son état neurologique. Les reins n’ont pas repris leur fonction. On peut cependant s’attendre à une latence d’une semaine, voire 10 jours jusqu’à ce qu’ils se remettent à travailler. Entre-temps, nous allons introduire une hémofiltration externe. C’est une possibilité qui est disponible ici, à Maputo.
En me rendant à la salle de repos qui jouxte le bloc opératoire, je fais un détour par le couloir des chambres régulières. Je tombe sur notre petit bonhomme, opéré dimanche, qui avait nécessité trois runs en machine cœur-poumon. La situation s’était avérée une énigme pour nous pendant quelque temps, jusqu’à ce que nous découvrions la raison, ou plutôt les raisons de ses problèmes et qu’on les corrige. Je me souviens du pessimisme de Joao; de mon côté, je gardais un certain espoir. Le petit se promène dans les couloirs avec sa maman. Il n’a pas cessé de me faire sourire pendant tout son séjour postopératoire. Par exemple, lorsque les infirmiers lui ont retiré ses drains (un geste qui provoque toujours un peu de douleur), il s’était mis à crier et se débattre avec vigueur. Une fois les drains retirés, il regardait ces soignants avec deux yeux furieux, chargés de reproches. Pour le consoler, ils lui avaient donné un yoghourt. Toute sa colère était alors retombée en une seconde et il piquait sa cuillère avec énergie dans le pot pour se régaler. Ce sont évidemment ces situations-là, celles qui passent par une phase presque désespérée, qui marquent et font le plus plaisir.
Nous allons entamer notre programme opératoire du jour avec un Fallot, suivi d’une correction chez un tout petit (le plus petit de la mission qui ne pèse pas même 3 kilos). Je ne peux pas vraiment laisser Sozinho opérer cet enfant seul, car il faudra faire un geste extrêmement précis que seule une longue expérience permet de maîtriser. Nous allons ensuite tenter d’opérer un troisième cas : une dérivation cavo-pulmonaire partielle. Notre programme prévoyait encore un dernier cas (une dérivation cavo-pulmonaire également), qui nécessite la même opération. Je vais bien insister sur le teaching du dernier cas, afin que Sozinho et son équipe se sentent à l’aise avec cette correction la semaine prochaine.
19h30
Le marathon du jour se termine. Nous sommes à la fois fatigués et extrêmement satisfaits. Je me sens un peu comme à l’issue de ces matchs de football, dans ma jeunesse – qui remonte, j’ose à peine le préciser, au siècle passé – qui finissait par une victoire en prolongations… Nous étions sur les genoux, harassés (une prolongation, ça a le poids d’un match complet – la fatigue était celle de deux rencontres), mais le plaisir, l’euphorie de la victoire nous faisaient oublier toutes les peines. Ce soir, comme dans ces années glorieuses (on peut toujours contester de cet adjectif-là ) la satisfaction efface la raideur du squelette, la tension des muscles et l’ankylose des articulations.
Nous avons réussi à opérer trois enfants aujourd’hui et ainsi accompli un magnifique programme.
Je suis ensuite passé aux soins intensifs qui sont occupés au maximum de leur capacité : bourrés comme un œuf, dirait-on chez nous. En effet, avec l’arrivée du dernier opéré, les 9 lits seront occupés pour cette nuit. Trois enfants sont encore intubés. Les autres sont réveillés, respirent par eux-mêmes, mais ont encore besoin soit d’une surveillance rapprochée, soit de soins particuliers, souvent de la physiothérapie respiratoire. Demain, deux patients pourront probablement être transférés en chambre régulière, puis trois ou 4 autres après-demain. J’imagine que lundi ou mardi, tous nos enfants auront quitté les soins intensifs, tous, sauf probablement l’adolescent avec son endocardite. De notre côté, ce sera un souper léger, mais en équipe pour marquer le coup.