Blog prof. René Prêtre

Oct 15 2024

Lundi 14 octobre 2024 

Post by René Prêtre

Oct 15 2024

8h30 

Visite des soins intensifs : les trois patients sont stables. Un est déjà complètement réveillé, les deux autres sont en voie de réveil. Derrière la grande vitre du bloc, je vois les anesthésistes s’affairer. Ils préparent le premier cas du jour. Ils sont efficaces ici, tout va plus vite que chez nous. Pas que nos anesthésistes sont moins rapides, mais nous avons tellement de procédures chronophages à respecter que les délais (entre deux opérations par exemple) sont toujours beaucoup plus courts ici. 

Ironie du sort, en « montant » de l’hôtel à l’institut du cœur, le chauffeur avait, comme chaque jour, mis un poste de radio français, ce qui me permet de rester un peu connecté avec l’Europe. Un nouveau record du monde du marathon féminin était annoncé, couru à Chicago par une Kényane en 2h09min56sec. Juste un peu plus de deux heures pour 40 km, cela représente pratiquement du 20 km/heure ! Je souris en pensant que quand je tiens cette moyenne sur mon vélo, je suis fier de moi ! Dans les courses de fond, les Kényans et Kényanes restent imbattables et c’est très bien ainsi. Les autres nouvelles sont nettement moins réjouissantes, les cieux de l’Ukraine et du Liban, toujours en feu, sont désespérants.  

On me fait signe que l’enfant est prêt. Je vais m’harnacher comme un mineur de fond (masque, bonnet, lampe frontale, casaque) et corriger ce cœur un peu trop cabossé.  

16h00 

Cas difficile que celui de ce matin, dépassant largement le temps prévu par le programme et débordant méchamment sur l’après-midi. En effet, l’opération s’est avérée être une lutte continuelle : chaque pas, chaque point, chaque nœud était difficile à réaliser et demandait la plus grande concentration. Le diagnostic de cette pathologie est connu sous le nom de truncus arteriosus (en latin), signifiant tronc artériel commun. En effet, cela se présente comme si l’artère pulmonaire et l’aorte avaient fusionné en une seule sortie et une seule valve et que les artères pulmonaires émergeaient de cette énorme vaisseau juste au-dessus de la valve aortique pour rejoindre les poumons, alors que le reste du segment aortique montait se distribuer  pour l’ensemble de l’organisme. On opère classiquement cette pathologie vers la troisième semaine de vie, parfois plus tôt si elle est mal tolérée, mais très rarement au-delà d’un mois. Aujourd’hui, l’enfant ltait âgé de 7 mois. Durant les 6 mois supplémentaires d’attente avant la correction, le tronc commun s’est dilaté à l’extrême et a pris une énorme place dans le thorax, tout comme la valve aortique qui a atteint un diamètre extraordinairement grand. Une des conditions de la réussite de cette opération est justement de maintenir la fonction de la valve aortique. Il n’est pas possible de réduire son diamètre impunément sans impacter la fermeture de ses feuillets, si fins, à l’architecture si délicate. Pour préserver au mieux l’anatomie de la valve, j’ai décidé d’élargir l’aorte plutôt que de réduire cette racine aortique monstrueuse, sachant cependant que je risquais de rencontrer un problème majeur de place pour connecter le cœur aux artères pulmonaires. Le geste fut compliqué à réaliser. Il a fallu remonter jusqu’au niveau de l’artère carotide pour fendre latéralement l’aorte et augmenter harmonieusement son diamètre. J’ai ensuite réalisé la suture justement de la racine aortique avec cette aorte augmentée et nous avons infusé une solution de cardioplégie dans cette aorte. Nous avons alors constaté, à notre grande satisfaction, que la valve aortique fonctionnait parfaitement et était bien étanche. Nous avons finalement eu tout juste la place (mais ceci s’est joué au demi-millimètre) pour insérer un tube entre le ventricule droit et les artères pulmonaires. La sortie de la machine coeur-poumon, moment de légère angoisse, s’est fait en douceur, un soulagement et une excellente nouvelle.  

Nous sommes sortis de cette opération vers 15h30. Tenant absolument à garder le rythme de deux opérations par jour, nous nous préparons de suite pour la deuxième intervention. Comme mentionné, par bonheur, ici le changement de patient ne dépasse pas la demi-heure (contre deux heures chez nous, avec tous les protocoles de désinfection et autres précautions imposés). 

19h30 

La deuxième opération est terminée : une tétralogie de Fallot pas simple, en raison de la petitesse des artères pulmonaires. En effet, peu de sang arrivait dans les poumons et cet enfant était particulièrement bleu. Le sang était épais, huileux, très visqueux, collant aux doigts (ce qui rend bien difficile la réalisation de nœuds fins sur des fils de très petite taille).  

En raison de cette viscosité, le sang chez ces enfants circule à vitesse réduite et finit par « cailloter » et bloquer la circulation. Une des complications redoutées de cette pathologie chez ces enfants-là est la thrombose vasculaire. Toutes les artères et ainsi tous les organes sont susceptibles de souffrir de ce problème, mais c’est sur le cerveau qui ces complications sont le plus parlant. En effet, le cerceau est irrigué par une circulation dite terminale, c’est à dire sans collatéral et, dans cette configuration, ces thromboses se traduisent par des AVC souvent dévastateurs.  

Grâce à notre opération, une quantité normale de sang maintenant passe par le poumon pour s’oxygéner. L’enfant qui il y a encore trois heures était “bleu-foncé” est sorti du bloc opératoire avec des lèvres et des muqueuses rose bonbon. Le sang a été dilué par le remplissage de la machine cœur-poumons et le risque de thrombose est relativement écarté. Il commencera enfin à respirer correctement et ne sera plus en permanence dans un état d’essoufflement chronique. Lui verra un énorme changement dans la qualité de sa vie dès son réveil. 

Beatriz nous attend. Elle a réservé un restaurant en bord de mer. Nous ne ferons pas tard car la soirée est déjà bien engagée et demain sera un autre jour à trois cas, mais nous avons quelques points à discuter, en particulier le fonctionnement du centre cardiaque de Maputo.